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Affaire de l’attentat de 1994 au Rwanda: l'analyse de l’historien français François Robinet


French investigators examine the wreckage of Habyarimana's Dassault Falcon 50 plane (Hereward Holland/Reuters)

Le 3 juillet dernier, la Cour d’appel de Paris confirmait le non-lieu dans l’affaire de l’attentat de 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, attentat considéré comme le déclencheur du génocide. La justice française lève donc les poursuites contre les proches de l’actuel président rwandais Paul Kagamé. Après cette décision rendue à huis clos, RFI a pu consulter cet arrêt, où l’on peut lire les motivations des juges. L’analyse de l’historien François Robinet, spécialiste du Rwanda et des relations franco-rwandaises.

RFI : Après vingt-deux ans d’enquête cet arrêt de la Cour d’appel signifie-t-il que la justice française ne désigne aucun coupable ?

François Robinet : En tout cas, pour l’instant, pour la justice française, cela signifie qu’il n’y a pas matière à ouvrir un procès qui viserait les neuf proches du président Kagame qui avaient été visés en 2006 par un mandat d’arrêt international du juge Bruguière. C’est-à-dire que la justice considère que les éléments qu’elle peut avoir à charge de ces neuf personnes ne sont pas suffisamment solides pour organiser un procès. Donc au total, on a là une thèse qui tend progressivement à se fragiliser et sans doute à être invalidée à terme.

Dans leur arrêt d’une soixantaine de pages, les magistrats insistent sur le climat délétère qui a régné sur cette instruction, avec des faux témoignages, des tentatives de manipulation… Est-ce que cela vous surprend ?

Non, pas tellement, puisqu’on avait déjà de nombreuses informations et de nombreuses enquêtes, sur le fait que l’enquête Bruguière -enquête à charge contre le FPR-, avait été en partie alimentée à partir de fausses preuves ou de preuves douteuses et également à partir de témoignages contradictoires, parfois eux-mêmes douteux, ou des témoignages de personnes qui se sont depuis rétractées. Donc c’est une instruction du temps de Bruguière qui avait déjà été fortement fragilisée. C’est ce que semblent confirmer les deux non-lieux produits en 2018 et en 2020.

Dans quelle mesure l’évolution des relations entre les deux pays a-t-elle pu conditionner la manière dont l’instruction s’est déroulée ?

Ce qui est sûr, c’est que cette instruction s’est déroulée dans un contexte politique qui a longtemps été tendu entre la France et le Rwanda. Et ce qu’il faut savoir, c’est qu’au moment où l’enquête Bruguière s’ouvre, en mars 1998, s’ouvre simultanément la mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda. D’un côté, vous avez des parlementaires qui enquêtent sur les responsabilités françaises dans ce génocide, et de l’autre côté, vous avez une instruction qui vise à établir la responsabilité du Front patriotique rwandais et de Paul Kagame dans l’attentat du 6 avril 1994. Du coup, il y a toujours un peu un jeu de tension entre les deux. Il faut savoir que la signature de mandats d’arrêts internationaux, en novembre 2006 par le juge Bruguière, va entraîner trois ans de rupture diplomatique entre la France et le Rwanda et que l’instruction va être reprise par le juge Trévidic en 2007, dans le contexte de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Et là, on va être sur une instruction sans doute plus équilibrée, qui ne vise plus exclusivement à établir la responsabilité du FPR, mais qui tente au contraire de, sinon d’explorer toutes les pistes -parce que je ne suis pas sûr que cela ait été fait-, mais en tout cas, de se défaire d’un certain nombre de manipulations qui ont pu avoir lieu dans les premiers temps de l’instruction.

Est-ce que finalement, compte tenu du climat politique, il n’y avait pas trop d’attente autour de cette instruction ? Est-ce que la justice peut faire le travail de l’histoire dans un dossier aussi sensible ?

La justice a une démarche qui lui est propre. Elle travaille dans un contexte spécifique. Elle vise à établir des responsabilités, ou au contraire, à montrer qu’il n’y a pas de responsabilité. L’historien, lui aussi, dans une démarche de vérité, va chercher à construire un récit sans doute beaucoup plus complexe, beaucoup plus épais. Et là, peut-être qu’on est en train aussi, je pense, de sortir progressivement du temps de la justice. Il y aura aussi le procès de Félicien Kabuga, peut-être dans quelques mois. Mais malgré tout, on sort progressivement du temps de la justice. On arrive dans un moment où de plus en plus d’archives sont connues et ouvertes. On peut penser que l’on va rentrer progressivement dans le temps de l’histoire. Et ce qui est très intéressant, c’est que je crois qu’à court terme il y aura une histoire de cette enquête. L’histoire, finalement, d’une instruction qui a joué un rôle central dans la controverse qui a sévi en France, avec des thèses qui parfois peuvent paraître un peu complotistes et qui peuvent laisser penser au public que finalement aujourd’hui on ne sait pas encore très bien ce qui s’est passé. On sait très bien ce qui s’est passé au Rwanda du 6 au 7 avril, jusqu’au mois de juillet. On sait très bien comment ce génocide s’est déroulé, à quel rythme, selon quelles modalités… Il y a des choses encore à découvrir, mais globalement la recherche a vraiment travaillé de manière très importante. Mais il y a quelques sujets, parfois, comme ça, qui font diversion encore ou qui sèment de la confusion.

Le Conseil d'État vient d’autoriser à un chercheur français à avoir accès aux archives de François Mitterrand sur le Rwanda. Qu’y-a-t-il dans ces archives ? Que pourrait-on en apprendre ?

Il y a pas mal de choses dans ces archives. Ce sont des télégrammes diplomatiques, ce sont des notes de conseils restreints, des conseils des ministres… Ce sont des notes de certains conseillers de François Mitterrand… Et ce qui est important surtout, c’est de pouvoir avoir accès à un fonds qui soit complet. Cela devrait permettre d’écrire une histoire peut-être plus rigoureuse et plus solide encore des responsabilités françaises, avant, pendant et après le génocide.

À noter : les parties civiles ont annoncé leur pourvoi en cassation.

Publié par RFI le 21/07/2020. Modifié le 21/07/2020.


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