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La Côte d’Ivoire à l’heure des tractations postélectorales

Une semaine après la rencontre entre le président Ouattara et son rival Henri Konan Bédié, le processus de négociation est lancé mais il faudra encore du temps avant la réconciliation.



Publié par Le Monde le 19 novembre 2020.

Le président ivoirien Alassane Ouattara (à droite) et Henri Konan Bédié (à gauche), le 11 novembre 2020. (AFP/Issouf Sanogo)



Mardi 17 novembre à l’hôtel Ivoire d’Abidjan, Alassane Ouattara est l’inévitable vedette du premier conseil politique post-électoral de son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). La réélection du président ivoirien a été validée dix jours plus tôt par le Conseil constitutionnel, mais aussi – et cela l’inquiétait davantage – sobrement saluée par Emmanuel Macron, les chancelleries occidentales et les principales organisations africaines.


Malgré le soulagement, le ton du président au pupitre est grave. « Je suis révolté », déclare-t-il en pointant la désobéissance civile et le boycott actif de l’opposition qui ont entraîné, selon lui, de nombreuses violences ces dernières semaines en Côte d’Ivoire. S’il multiplie les piques, le chef de l’Etat loue également le dialogue amorcé une semaine plus tôt avec l’opposition, auquel l’ensemble des diplomates l’ont incité.


Le 11 novembre, pour la première fois depuis août 2018, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié se sont revus et ont discuté. La rencontre s’est déroulée à l’hôtel du Golf. C’est là, dix ans plus tôt, que les camps Ouattara et Bédié avaient trouvé refuge et ferraillaient ensemble contre le président Laurent Gbagbo (2000-2011), qui refusait de quitter le pouvoir. Là aussi que s’était en apparence solidifiée l’amitié entre les deux « fils » rivaux de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance. Apparence trompeuse…


Mercredi 11 novembre, donc, devant une nuée de caméras venues couvrir ce moment symbolique, Alassane Ouattara a affirmé qu’il s’agissait d’« une première rencontre pour briser la glace et pour rétablir la confiance ». Les deux adversaires politiques marquaient là leur volonté d’engager un dialogue, afin que « le pays soit ce qu’il était avant [les violences] », expliquait pour sa part l’ancien président Henri Konan Bédié (1993-1999).


Six jours plus tard, face au parterre d’élus et de militants du RHDP, Ouattara a cependant rappelé une fois de plus les limites du dialogue à venir : « Pour tous ceux qui se font des idées sur une transition, ils peuvent toujours rêver : il n’y aura pas de transition en Côte d’Ivoire ! »



Plusieurs opposants sous les verrous


Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de Bédié, semble avoir fait un pas dans le sens attendu par le pouvoir. Depuis les retrouvailles de l’hôtel du Golf, le parti d’opposition ne mentionne plus le « conseil national de transition » (CNT) dans ses communiqués. Formé deux jours après le premier tour de l’élection présidentielle du 31 octobre, le CNT avait vocation, selon l’opposition, à « préparer le cadre de l’organisation d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive » dont serait exclu le président sortant. Une initiative considérée comme un acte de sédition par le gouvernement ivoirien.


Ces derniers jours, l’absence d’évocation du CNT dans les publications officielles du PDCI est largement interprétée par certains comme un geste de compromis envers le pouvoir… mais aussi envers une partie de l’opposition. Selon plusieurs sources, Laurent Gbagbo, toujours en exil à Bruxelles, avait fait savoir qu’il ne se reconnaissait pas dans cette structure de transition, qu’il considère comme illégale. Sous couvert d’anonymat, des figures du PDCI partagent cette position. Par ailleurs, plusieurs chancelleries ont fait savoir à Bédié que cette volonté de lancer une transition était une voie sans issue.


Si le mot d’ordre de désobéissance civile n’a pas été levé, l’entrevue entre Ouattara et Bédié aura également permis d’apaiser les tensions politico-identitaires après des mois de violences et de tensions. Dans un rapport daté du 16 novembre, Amnesty International s’inquiète de « l’horreur des violences postélectorales », rappelant les « dizaines de personnes tuées », les « centaines de blessés » (officiellement 85 morts et près de 500 blessés en trois mois) et les « dizaines de membres de l’opposition arrêtés », dont certains « de manière arbitraire ». Ce qu’a vivement contesté le gouvernement, déplorant « le caractère ouvertement orienté » du rapport.


Il n’empêche. Dans le sillage de la formation du CNT, de nombreux opposants ont été arrêtés. Sur la vingtaine de personnes interpellées chez Bédié le 3 novembre, cinq sont encore sous les verrous. C’est notamment le cas de Maurice Guikahué, le secrétaire exécutif du PDCI, détenu à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, ainsi que de deux sénateurs influents du parti. Et après quelques jours de cavale, Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), toujours en conflit avec Laurent Gbagbo, a lui aussi été arrêté. « Ouattara a mis un coup d’arrêt à l’opposition en arrêtant les plus bruyants, observe le politologue Sylvain N’Guessan. Et il a isolé Bédié, qui reste aujourd’hui le seul opposant encore libre de ses mouvements.



Vers un remaniement gouvernemental ?


A moins qu’il ne soit prochainement rejoint par Gbagbo ? Même si Ouattara a annoncé, mi-novembre, qu’il allait demander à son ministre des affaires étrangères de délivrer un passeport diplomatique à l’ancien chef de l’Etat, son avocate dit qu’aucun document n’a été reçu pour l’heure. Et pour Gbagbo, hors de question de négocier un passeport qu’il estime lui être dû en tant que citoyen ivoirien. Son retour sur les bords de la lagune Ebrié, annoncé pour mi-décembre, s’inscrit donc une fois de plus en pointillé.


C’est le premier ministre Hamed Bakayoko qui est aujourd’hui chargé de renouer le dialogue avec le PDCI et le FPI, « afin de leur permettre de reprendre leur place », a indiqué Ouattara lors du conseil politique du RHDP. Une manière de renouer avec les trois grandes figures qui structurent l’échiquier politique depuis plus de vingt ans.»


Mais de nombreux points restent à régler. « Ils [les opposants] veulent la libération des prisonniers politiques, mais cela se fera dans le respect de l’Etat de droit », prévient le ministre Mamadou Touré, porte-parole adjoint du gouvernement. Autre doléance que refuse pour l’heure le pouvoir : la présence d’un médiateur international pour gérer le conflit. Du côté du PDCI, la médiation est souhaitée, mais elle ne peut en revanche émaner de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), jugée trop proche de Ouattara.


Tout récemment, le président ivoirien a convoqué les ministres et des élus pour leur faire part de son mécontentement. Une manière, semble-t-il, de préparer les esprits à un remaniement. Le chef de l’Etat ne souhaite pas de gouvernement d’union nationale, mais il ne serait pas étonnant de voir de nouvelles têtes apparaître. En geste de conciliation envers l’opposition, il serait en revanche prêt à repousser les législatives au premier trimestre 2021 afin de lui permettre de se réorganiser et de laisser ses électeurs potentiels s’inscrire sur les listes. Enfin, dans le grand marchandage du pouvoir, derrière les postes les plus visibles des ministères, existent ceux, bien plus rentables, des différentes régies de l’Etat.



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