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« La Centrafrique n’est jamais vraiment passée de la crise à la réconciliation »

Pour le chercheur Jeff Hawkins, « le dernier exercice électoral en dit long sur la fragilité du pays », malgré le soutien continu de la communauté internationale.



Publié par Le Monde le 11 janvier 2021

Un soldat de l’armée centrafricaine à Boali, le 10 janvier 2021. (FLORENT VERGNES/AFP)



Tribune. Lundi 4 janvier, l’Autorité nationale des élections (ANE) a annoncé les résultats préliminaires des élections présidentielle et législatives en Centrafrique. Selon l’ANE, Faustin-Archange Touadéra aurait obtenu près de 54 % des voix, écartant la nécessité d’un second tour de scrutin. Le gouvernement centrafricain et la communauté internationale se sont donné beaucoup de mal pour organiser ces élections comme prévu et on peut considérer comme un succès leur déroulement dans un contexte difficile. Mais à bien des égards, la Centrafrique ne semble pas plus proche de la résolution de son interminable crise qu’avant le scrutin ; et le dernier exercice électoral en dit long sur la fragilité du pays.


Lorsque M. Touadéra a commencé son premier mandat, il y a cinq ans, on aurait pu espérer un avenir meilleur pour la Centrafrique. Le pays s’était lentement, douloureusement éloigné d’une catastrophe humanitaire en 2013 et, deux ans après, semblait plus ou moins prêt pour des élections démocratiques. Les forces de maintien de la paix de l’ONU, en collaboration avec l’armée française, avaient apporté une certaine sécurité ; le gouvernement de transition avait accepté d’organiser le scrutin et de rendre le pouvoir au vainqueur ; la communauté internationale s’était chargée de la logistique électorale dans un pays déchiré par la guerre et en grande partie sans infrastructures.



Des groupes armés tantôt rivaux, tantôt alliés


Miraculeusement, les élections de 2015-2016 qui ont porté M. Touadéra au pouvoir ont été largement pacifiques et les observateurs internationaux se sont accordés pour dire qu’elles respectaient globalement la volonté de l’électorat. Quelques mois après le scrutin, lors d’une conférence internationale des donateurs à Bruxelles, la communauté internationale a levé 2 milliards d’euros pour aider à la reconstruction du pays. Quelques années plus tard, en 2019, le gouvernement et une douzaine de groupes armés ont signé à Khartoum un accord de paix sous les auspices de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC).


Malgré les progrès apparents, cependant, la Centrafrique n’est jamais vraiment passée de la crise à la reconstruction et à la réconciliation. Le gouvernement a toujours peiné à étendre son fief au-delà de Bangui, sans jamais toucher de façon significative les populations en dehors de la capitale. Les projets de développement, souvent entravés par des problèmes de sécurité, n’ont pas fourni suffisamment d’emplois aux jeunes. Il est impossible pour la force de maintien de la paix de l’ONU, la Minusca, d’imposer pleinement l’ordre à un pays divisé entre des groupes armés tantôt rivaux, tantôt alliés. Et pendant tout ce temps, ces mêmes groupes armés ont continué de contrôler les mines de diamants et les routes de transhumance, dont les ressources finançaient les conflits plutôt que les services gouvernementaux.


Deux facteurs additionnels expliquent la violence qu’on voit aujourd’hui en Centrafrique. Premièrement, l’accord de Khartoum, qui devait mettre fin aux combats entre groupes armés, était un exercice creux. En 2019, le gouvernement et la communauté internationale avaient clairement démontré qu’ils n’avaient ni les moyens militaires et policiers de rétablir l’ordre dans le pays ni grand-chose à offrir aux groupes armés en échange de l’abandon du contrôle des ressources nationales lucratives. S’attendre à ce que ces groupes – essentiellement des organisations criminelles sans idéologie ni aspiration régionale – baissent les armes en échange de quelques sièges dans les comités de désarmement à Bangui était irréaliste. Il va sans dire qu’il y a eu peu de désarmement réel dans les mois qui ont suivi et que les conflits violents, après une accalmie, se sont poursuivis.



François Bozizé, un facteur de déstabilisation


Deuxièmement, M. Touadéra et la Minusca ont décidé de permettre le retour au pays de l’ancien président François Bozizé. Ce choix désastreux reste inexplicable. M. Bozizé, ancien chef des forces armées centrafricaines, avait pris le pouvoir en 2003 par une rébellion de groupes armés très proches de ceux qui créent tant de problèmes aujourd’hui. Depuis qu’il avait quitté ses fonctions, il vivait en exil, sous sanction internationale. Après son départ du pouvoir, ses relations problématiques avec les milices anti-balaka étaient perçues comme l’une des raisons de l’instabilité. Sa réapparition à Bangui fin 2019 aurait dû conduire à son arrestation immédiate ou à un nouvel exil. Au lieu de cela, M. Touadéra – qui avait été premier ministre sous Bozizé et a besoin du soutien électoral des populations favorables à l’ancien président – a décidé de traiter son ancien patron avec le respect dû à un ex-chef d’Etat. M. Bozizé ne lui a pas rendu la politesse, soutenant l’organisation des principaux groupes armés en un seul mouvement avec l’intention manifeste de perturber les élections par la violence.


Le second mandat de M. Touadéra devrait donc commencer sur une note moins optimiste que le premier. Les violences se poursuivent en Centrafrique, dont certaines près de la capitale, et notamment dans la ville d’origine du président, Damara. L’accord de Khartoum est clairement mort. M. Bozizé reste un important facteur de déstabilisation. Beaucoup de personnalités politiques qui s’étaient présentées contre M. Touadéra aux élections contestent maintenant les résultats. Et même si le vote a eu lieu à Bangui et dans certaines parties du pays, il y a apparemment eu des perturbations importantes dans d’autres régions. Si elle peut se consoler du soutien continu de la communauté internationale, la Centrafrique ne semble guère mieux lotie qu’il y a cinq ans.



Jeff Hawkins est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il a été ambassadeur des Etats-Unis en Centrafrique et consul général à Lagos, au Nigeria.




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