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Tribune sur le « Rapport Mapping » de l’ONU en RDC

« Il est temps que les responsables des crimes les plus graves perpétrés en RDC répondent de leurs actes »


Dix ans après la sortie du « Rapport Mapping » de l’ONU, inventaire des violations des droits humains commises entre 1993 et 2003, les victimes attendent toujours que justice soit faite.



Publié par Le Monde le 29 septembre 2020.


Le 2 septembre 1998, à Kalemie, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). [ABDELHAK SENNA/AFP]



Le « Rapport Mapping » décrit de manière chronologique et thématique les horreurs de dix années de violences et de conflits en République démocratique du Congo (RDC). Il analyse 617 incidents violents commis entre 1993 et 2003 en RDC. Durant cette décennie, l’ensemble des parties aux conflits – groupes rebelles congolais et étrangers, forces armées nationales congolaises, ougandaises, burundaises, angolaises, rwandaises, tchadiennes et zimbabwéennes – se sont rendus coupables de graves et massives violations des droits humains.


Pour ce travail, réalisé par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (HCDH), la majorité des 617 violences documentées peut être qualifiée de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Concernant les massacres visant les populations Hutu entre 1996 et 1997, le rapport indique que les attaques commises par l’Armée patriotique rwandaise (APR) et l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) « révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide ». Cette analyse a été vivement critiquée par le Rwanda lorsqu’il a reçu, pour commentaires, la première version du rapport en juin 2009. Jusqu’à aujourd’hui, cette partie du rapport continue à cristalliser les tensions entre anti-Front patriotique rwandais (FPR) et pro-FPR et tend à occulter le reste du contenu du rapport.


L’identité des auteurs présumés des exactions documentées – environ 200 personnes, dont plusieurs dizaines de responsables militaires et politiques de premier plan – n’apparaît pas dans le rapport public, mais figure dans une base de données confidentielle à la disposition du HCDH.


Alors que le « Rapport Mapping » aurait dû devenir un document fondateur de la lutte contre l’impunité en RDC, ses recommandations n’ont pas été suivies d’effet. L’idée de mettre en place une juridiction spécialisée pour faire la lumière sur les exactions commises entre 1993 et 2003 n’a jamais vu le jour. Si le régime congolais de l’ancien président Joseph Kabila a proposé en 2013 la création de chambres spécialisées mixtes composées de juges congolais et étrangers et intégrées au sein du système judiciaire congolais, la loi créant un tel organe n’a jamais été adoptée. De leur côté, les systèmes judiciaires des pays voisins ont systématiquement ignoré les exactions commises par leurs armées régulières sur le territoire congolais.



Action nationale d'envergure


Alors qu’une mobilisation du Conseil de sécurité des Nations unies aurait pu être salvatrice sur la question de la lutte contre l’impunité, ce dernier, faute de volonté politique des Etats membres, n’a apporté aucune réponse au manque de détermination de la RDC et des pays voisins de faire juger les responsables des crimes les plus graves commis entre 1993 et 2003. Lorsque, en mars 2016, le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, dépose une lettre signée par près de 200 organisations non gouvernementales (ONG) au HCDH, réclamant la publication de la base de données qui identifie les principaux responsables des crimes décrits dans le « Rapport Mapping », le Haut-Commissariat lui répond que « la divulgation publique de ces informations pourrait mettre en danger les victimes et les témoins desdites violations ». On peut toutefois se demander si la présence des responsables présumés de ces crimes dans les plus hautes instances dirigeantes de la RDC et des pays voisins ne met pas davantage en danger la population dans le pays.


Avec la fin du long règne de près de vingt-cinq ans de la famille Kabila, durant lequel l’impunité est demeurée la règle en RDC, l’espoir d’engager le pays dans une nouvelle voie plus respectueuse des droits humains renaît au sein de l’opinion publique congolaise, avec l’arrivée tourmentée de Félix Tshisekedi à la présidence congolaise en janvier 2019.


Il est aujourd’hui temps pour le président Tshisekedi, un homme politique qui n’est pas issu du monde des armes, d’un groupe armé et qui n’a aucun lien avec l’un d’eux, d’engager une action nationale d’envergure, en concertation avec la société civile, pour rompre avec l’impunité passée et engager le pays dans une paix durable basée sur la justice et le respect des droits humains. Cela ne pourra pas se faire sans le « Rapport Mapping » dont les recommandations doivent être mises en œuvre, particulièrement en ce qui concerne la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle.


Il est temps que les responsables politiques et militaires des crimes les plus graves commis en RDC entre 1993 et 2003 répondent de leurs actes devant la justice et que les victimes obtiennent enfin réparation. L’avènement d’une justice réparatrice est essentiel pour construire la paix dans le pays. Divulguer publiquement leurs noms, inscrits dans la base de données du HCDH, pourrait contribuer à les écarter du pouvoir, à les amener devant la justice et à libérer la parole des victimes et des témoins qui ne seraient plus contraints de vivre dans la peur des représailles de leurs bourreaux. Le « Rapport Mapping » ne doit plus être un sujet tabou.



Clément Boursin est responsable Afrique de l’ONG ACAT France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture).



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