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Les Attaques Armees Contre les Banyamulenge

Les Attaques Armées Contre les Banyamulenge: Des Actes Constitutifs de Génocide

Author: Zebedee Ruramira Bizimana | Avocat et Chercheur indépendant


Des Banyamulenge aux funérailles d'un pasteur tué par une milice. (ALEXIS HUGET?AFP via Getty Images)


NB: This report has been produced by an external independent researcher and is not an official Genocide Watch publication. It does not represent research conducted internally and directly by Genocide Watch staff. Genocide Watch supports and promotes efforts by other actors to investigate, document, and bring attention to the plight of persecuted communities such as the Banyamulenge of DR Congo.



LES ATTAQUES ARMEES CONTRE LES BANYAMULENGE - CRIME DE GENOCIDE - 2023
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1. L’INTRODUCTION SUR LA PROTECTION DE LA POPULATION CIVILE

Après une brève introduction, nous répondons à la question de savoir si les attaques armées contre la population civile Banyamulenge peuvent constituer des actes de génocide. Dans cette brève introduction, nous rappelons le principe de la protection de la population civile contre les attaques armées et les dégâts causés par les attaques armées dirigées contre les Banyamulenge.

1.1. La protection de la population civile contre les attaques En droit international humanitaire, la population civile est constituée par des personnes civiles, c’est-à-dire, les personnes qui n’appartiennent pas aux différentes catégories de combattants.1 La Règle 5 de l’étude sur les règles du droit international humanitaire coutumier publiée par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en 2005 définit comme civiles « les personnes qui ne sont pas membres des forces armées ».

Les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile.2 La Règle 1 précise que « les parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des civils ».3 Cette règle constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits armés tant nationaux qu’internationaux.

Malheureusement, depuis 2017, les personnes civiles Banyamulenge sont soumises à des attaques directes et intentionnelles préparées et conduites par les miliciens Maï-Maï et leurs alliés. En réalité, les personnes civiles Banyamulenge se sont retrouvées ciblées par une constellation de groupes armés et se réclamant tous de la nébuleuse Maï-Maï et galvanisés par les discours de haine ethnique relayés par des politiciens qui se réclament « des milices d’agriculteurs bantous qui se prétendent autochtones ».4 Ils se considèrent par conséquent comme seuls propriétaires des terres et du pouvoir politique.

Les premiers alliés de taille des miliciens Maï-Maï sont certains éléments des Forcées Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) qui ont entretenu une certaine co-activité ou tout au moins une complicité avec ces groupes armés, une situation qui a favorisé l’intensité et l’ampleur de leurs attaques. Le Rapport final du Groupe d’experts de 2021 sur la République démocratique du Congo confirme que plusieurs membres des FARDC étaient également de connivence avec des groupes Maï- Maï lorsque ces derniers ont attaqué des villages banyamulenge et volé du bétail, et des sources ont cité le Général Dieudonné Batenchi Muhima, commandant de la 12e brigade de réaction rapide à Minembwe depuis mars 2020, comme étant un élément déterminant de l’appui apporté par les FARDC à des groupes Maï-Maï.5

Outre des groupes armés locaux et les FARDC, des groupes armés étrangers ont participé activement aux attaques contre les personnes civiles Banyamulenge. Selon le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH-MONUSCO), des combattants Maï-Maï et les Forces Armées Biloze Bishambuke (FABB) sont suspectés d’être en coalition avec les combattants burundais Red-Tabara/FNL FNL- Nzabampema.6 A titre indicatif, en août 2020, le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’homme (BCNUDH) a documenté 92 atteintes aux droits de l’homme par des combattants Maï-Maï, FABB et Red-Tabara/FNL au cours de la période couverte par ce rapport. Il s’agit de 32 atteintes au droit à la vie, avec au moins 44 victimes d’exécutions sommaires (37 hommes et sept femmes, dont 41 Banyamulenge, une Bafuliiru et une Bembe).7

Il n’y a aucun doute que ces paisibles civils devraient, en vertu des normes du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, bénéficier d’une protection générale contre les effets des attaques armées conduites par les groupes armés, locaux et étrangers, et certains éléments des FARDC.

Malheureusement, les miliciens Maï-Maï et leurs alliés attaquaient systématiquement par des méthodes et des moyens de guerre qui ont causé, directement, des dommages immédiats et à long terme. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), plus de 110.000 personnes, principalement des femmes et enfants, ont été déplacées dans les zones d’Itombwe, Mikenge et Minembwe à cause de l’insécurité depuis février 2019.8 Beaucoup de personnes déplacées, dont la majorité sont des femmes et des enfants, sont confrontées à d’importants problèmes de protection et d’assistance alors que les camps de déplacés et les villages d’accueil sont sous attaques constantes de ces miliciens.

Des attaques armées délibérées des miliciens Maï-Maï et leurs alliés contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités constituent, selon le Statut de la Cour pénale internationale, un crime de guerre lorsqu’un tel acte est commis dans un conflit armé non international.9

Les auteurs de ces attaques violent les obligations contenues dans les différents instruments juridiques nationaux et internationaux et devraient répondre de leurs actes.


1.2. Les dégâts causés par des attaques armées Depuis 2017, la population civile Banyamulenge est victime d’attaques armées lancées par la coalition des miliciens Maï-Maï et leurs alliés en application ou dans la poursuite de leur politique délibérée de commettre des actes constituant des violations graves du droit national congolais et du droit international.

Se référant aux sources de cinq personnes déplacées, cinq représentants d’autorités locales, cinq ONG et des sources médicales et de l’ONU, le Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo de 2021 prouvent que « les attaques consistaient systématiquement à incendier des habitations, des centres de santé et des écoles, à contraindre les populations à se déplacer, à piller, y compris des vaches, principalement à des civils banyamulenge, et comptaient des meurtres, notamment des chefs locaux et des vachers banyamulenge ».10 En termes très sommaires, nous citons le rapport qui confirme, qu’entre 2017 et 2022, 1.500 personnes ont été tuées, 408 villages détruits, 131 écoles détruites, 35 centres de santé détruits, 452.675 têtes de bétail razziées, 6.057 personnes arbitrairement arrêtées et 2.145 enlevées.11

Selon le Cahier de charges de la communauté Banyamulenge lors du dialogue Intercommunautaire débattant des questions relatives à la paix, la sécurité et le développement dans les hauts et moyens plateaux de Fizi, Mwenga/Itombwe et Uvira tenu à Kinshasa du 29 au 31 mars 2021, les dégâts en termes humains et matériels sont immenses. Il est regrettable de constater que les dégâts humains, la destruction méchante et le pillage des ressources économiques enregistrés sur l’ensemble des hauts plateaux de Fizi, Uvira et Itombwe ont été planifiés comme stratégies d’extermination, du déracinement et de l’appauvrissement de notre Communauté.12 Se fondant sur des sources des chefs, des combattants et des ex-combattants des groupes Twirwaneho et Gumino, des sources de la société civile, des personnes déplacées, des chercheurs, des représentants d’autorités locales et des sources des FARDC et de l’ONU, le rapport final du groupe d’experts sur la République démocratique du Congo confirme la politique de la razzia. Les groupes Maï-Maï ont également mené, conjointement ou séparément, des attaques contre les civils banyamulenge, souvent pendant des vols de bétail, qui constituaient pour les groupes Maï-Maï une ressource financière clef.13

En fait, les attaques armées contre les Banyamulenge ont dévasté presque tous leurs villages, et « la communauté Banyamulenge, est actuellement concentrée dans quelques villages du centre de Minembwe ».14 Elles ont été précédées et accompagnées par des discours et messages appelant à détruire, en tout ou en partie, les Banyamulenge et, par conséquent, des meurtres ainsi que d’autres atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale ont été commis sur des civils pour des motifs discriminatoires, en raison notamment de leur appartenance ethnique.

2. Les attaques contre les Banyamulenge constituent-elles des actes de génocide ?

Pour répondre à cette question, nous nous limiterons uniquement à deux actesconstitutifs de génocide : l'incitation directe et publique à commettre le génocide (1) et les meurtres (2).

2.1. L’incitation directe et publique à commettre le génocide Avant de préciser les éléments matériel et moral du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide nous rappelons brièvement le contexte de la rédaction de ce crime.

2.1.1. Le rappel du contexte de la rédaction de l’article III (c) de la Convention pour la prévention et la répression du génocide Le contexte historique de la rédaction de l'article 3 (c) de la Convention pour la prévention et la répression du génocide était le procès au Tribunal militaire international de Nuremberg de 2 propagandistes nazis. L’un d’eux, Julius Streicher, était un éditeur antisémite allemand. « Streicher was obsessed with the idea that the Jewish represented a threat to the “purity” of the “Aryan race” ».15

Pour souligner le caractère criminel particulier de l’incitation au génocide, dans l’affaire Akayesu, la Chambre a d’abord rappelé que lors de l’adoption de la Convention sur le génocide les délégués ont décidé de stipuler expressément l’incitation directe et publique au génocide comme un crime spécifique en raison notamment de son importance dans la préparation du génocide.16 Ce crime, infraction autonome, a été inclus afin d'éviter des actes génocidaires avant qu'ils ne se produisent. On peut soutenir, cependant, que l'infraction d'incitation est trop étroitement définie pour atteindre l'objectif visé.

Une personne accusée pourra être déclarée coupable pour avoir commis l’incitation directe et publique à commettre le génocide, « si elle a incité directement et publiquement à commettre le génocide (l’élément matériel ou actus reus) et si elle était animée de l’intention d’inciter directement et publiquement autrui à commettre le génocide (l’élément intentionnel ou mens rea). Une telle intention suppose elle-même l’existence d’une intention génocidaire ».17


2.1.2. Les éléments matériel et moral de l’incitation au génocide des Banyamulenge Nous donnons quelques exemples des discours et messages constitutifs d’actes matériels qui incitent au génocide des Banyamulenge avant de donner quelques indications sur la preuve de l’élément moral de ce crime.

2.1.2.1. Les discours et messages incitant au génocide des Banyamulenge La justice internationale notamment le TPIR a précisé les contours de l’élément matériel du crime d’incitation au génocide en définissant les trois termes suivants :

D’abord, l’incitation qui est définie « comme le fait d’encourager ou de persuader une autre personne à commettre une infraction par des discours, cris, ou menaces ou par tout autre moyen de communication audiovisuelle ».18

Ensuite, le terme « publique » qui est « examiné à la lumière de deux facteurs : le lieu où l’incitation a été formulée et le fait de savoir si l’assistance a été ou non sélectionnée ou limitée ».19

Enfin, s’agissant du terme « directe », le TPIR a conclu qu’il s’interprète dans le contexte de la culture et de la langue rwandaises, en considérant qu’il « est approprié d’évaluer le caractère direct d’une incitation à la lumière d’une culture et d’une langue donnée. En effet, le même discours prononcé dans un pays ou dans un autre, selon le public, sera ou non perçu comme “direct” ».20

Une panoplie de discours de haine et de messages sur des questions d’identité et ethniques a contribué à alimenter les attaques armées contre les personnes civiles Banyamulenge. Ne pouvant pas citer tous les discours incitant directement et publiquement à exterminer les Banyamulenge, nous donnerons quelques exemples identiques à ceux dont leurs auteurs ont été condamnés par la justice. Ces discours, pouvant prendre les formes des euphémismes et métaphores à commettre la violence contre les Banyamulenge, diffusés à de nombreuses personnes par des moyens de communication comme les médias de masse, y compris les médias sociaux, sont récurrents et réguliers.21

Le Rapport du BCNUDH sur les discours et messages incitatifs à la haine en République démocratique du Congo cite par exemple :

  • La diffusion à travers les réseaux sociaux, et en particulier l’application de messagerie WhatsApp, d’une chanson par un commandant Maï-Maï et chanteur Bafuliru appelant les communautés Bafuliiru, Babembe et Banyindu « à persécuter les Banyamulenge en les chassant de leurs terres et même à les exterminer ».22 Ces discours de haine visent « à persécuter les Banyamulenge en les chassant de leurs terres et même à les exterminer. Certains responsables religieux diffusent des discours incitatifs à la haine à travers leurs sermons sur la situation politique et sécuritaire ».23

  • Une déclaration faite le 31 octobre 2019, par l’association des Babembe résidant à Kinshasa, qui appelait à la guerre, le déplacement et la persécution des Banyamulenge des hauts plateaux de Fizi et Itombwe. Un communiqué de presse émis par des membres de la communauté Babembe au cours d’un forum intercommunautaire tenu à Uvira du 2 au 4 mars 2020 adressé aux autorités régionales, nationales et provinciales exigeait que les « Banyarwanda soi-disant Banyamulenge » soient déchus de leur nationalité congolaise et qu’ils soient considérés comme des réfugiés rwandais.24

  • Le BCNUDH a documenté plusieurs discours et messages incitatifs à la haine au Sud-Kivu le 24 novembre 2019, le 30 novembre 2019, le 17 janvier 2020 et le 2 avril 2020. Les messages émanaient de personnalités influentes, dont un député provincial, le Président d’une organisation de la société civile, un ancien ministre national et le président d’une organisation de jeunes. Entre novembre 2019 et le 22 janvier 2020, le BCNUDH a également documenté plusieurs messages vocaux ou vidéos anonymes issus de la diaspora des différentes communautés de la province et incitant à la haine. Un de ces messages, datant du 20 janvier 2020, incitait « le peuple congolais de se munir de machettes et de lances pour chasser les étrangers Banyamulenge pour qu’ils retournent chez eux au Rwanda ». 25

Le Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo confirme que :

  • « des sources interrogées ont décrit ou manifesté un fort sentiment anti- banyamulenge parmi bon nombre de membres des populations babembe, bafuliru, banyindu et bavira, dont des chefs communautaires et des dirigeants politiques ».26

  • Justin Bitakwira, un ancien ministre, qui « a fait un discours de 23 minutes dans lequel il a nié que les Banyamulenge soient déjà des citoyens congolais. Il a, entre autres, accusé les Banyamulenge de vouloir dominer la République démocratique du Congo et d’avoir oublié leurs crimes, les mettant en garde que l’histoire prendrait sa revanche et que les Banyamulenge seraient "enlevés sans savoir où [aller]", s’ils n’arrêtaient pas de mentir et s’ils ne se repentaient pas ».27

  • En avril 2021, John Kasimbira, alias Makanaki, un des chefs Maï-Maï Makanaki, actif dans les Hauts-Plateaux... qui a promis, dans une vidéo postée dans les médias sociaux, d’écraser tous les Banyamulenge et ceux qui s’alliaient à eux.28

  • Une Banyamulenge qui avait été déplacée a expliqué qu’avant l’attaque commise par la coalition des Maï-Maï contre son village en octobre 2019, de jeunes Bafuliiru avaient dit qu’ils tueraient les Banyamulenge et enverraient ceux qui resteraient au Rwanda, puisqu’ils étaient tous rwandais.29

Ntanyoma Rukumbuzi Delphin et Thomas Shacklock citent notamment les discours suivants :

  • Les déclarations de Eve Bazaiba, alors Députée, concernant les Banyamulenge : « ....Nous craignons les revendications ascendantes. Après la nationalité, il y a la terre ; et ensuite, l’autonomie, l’indépendance, et le droit du peuple... Parce que là, nous risquons d’avoir un Lesotho... en République Démocratique du Congo, nous risquons d’avoir un Vatican en République Démocratique du Congo... Comment est-ce qu’il [le Ministre] pense apaiser nos inquiétudes en ce qui concerne cette série de revendications ascendante : la nationalité, la terre, et après ? ... Mais la campagne autour de la question de Minembwe... vous avez suivi la campagne, le spot, les clips, mais nous ne sommes pas dupes... ».30

  • L’assimilation des Banyamulenge aux Mbororo : « Honorable Président, je voudrais aussi dire ... loin de moi toute pensée de haine, de discrimination ou de xénophobie... nous devons parler clairement, sincèrement pour que nous résolvions une fois pour toute cela si non, nous allons avoir les mêmes problèmes avec les Mbororo,31 nous allons avoir les mêmes problèmes avec les ADF-NALU, nous allons avoir les mêmes problèmes avec les Interahamwe transformés à FDLR aujourd’hui. Nous allons avoir beaucoup de problèmes ». 32

  • La négation de l’existence des Banyamulenge par Martin Fayulu : « Le problème, c’est cette Balkanisation physique qu’on est en train de matérialiser... les gens vont être ici, nombreux... des populations qui vont, demain, dire que nous ne parlons pas les langues du pays (la RDC), nous parlons des langues similaires aux langues du Rwanda... Ce n’est pas une affaire de 5 ans... 25 ans... 50 ans, c’est une affaire de longue durée... Je n’ai de problème avec aucune tribu du Congo, mais... les Banyamulenge n’existait pas ... ».33

  • La négation de la nationalité congolaise par Monseigneur Muyengo (évêque catholique d'Uvira) : « Pour nos populations, la commune de Minembwe est le dernier coup de maître après l'échec du pouvoir du Rassemblement pour la démocratie (RCD), d'obédience rwandaise à l'époque, de créer tout un territoire dans la province pour nos frères Banyamulenge, identifiés comme des Congolais d'origine rwandaise et d'ethnie tutsi. Hier, c'était la question de la nationalité, aujourd'hui, c'est celle de la terre. Mais si on peut attribuer la nationalité à qui la demande et la mérite, on ne distribue pas la terre sous n'importe quelle condition ».34

Plus récemment, le 05 juillet dernier, Justin Bitakwira a, sur la Chaine Bosolo TV à travers l’émission Bosolo na Politik officielle animée par Monsieur Israël Mutombo, affirmé notamment que: « Un Tutsi est un criminel né. Ils sont tous pareils... Un Tutsi, Quand il est en position de faiblesse, il peut dormir pendant six mois sous ton lit. Et quand il prend la position de force, il va te dire qu’il ne t’a jamais vu, pourtant il a dormi six mois sous ton lit ». Et d’ajouter : « Je me pose toujours la question de savoir si leur créateur ce n’est pas celui qui a créé le diable. Je n’ai jamais vu une race aussi méchante. Tous les tutsi sont des criminels aucun d’eux n’ira au ciel, même leurs pasteurs ont déjà tué... ».35

La conseillère spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu a appelé, le 14/11/2022, les congolais à bannir les discours de haine en vue de prévenir le génocide. Elle a rappelé que « En ce qui concerne les discours de haine, il est extrêmement important d'expliquer que l'histoire nous a appris qu'il n'existe pas un seul génocide dans le monde, ni l'holocauste, ni le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda, ni le génocide de Srebrenica de 1995 en Bosnie-Herzégovine, qui n'ait été précédé, accompagné et suivi d'un discours de haine. Ce que fait le discours de haine : le discours de haine déshumanise les êtres humains. Les discours haineux décrivent les êtres humains, parfois comme des animaux. Vous entendez donc des êtres humains décrits comme des cafards, des vers, des poux, des puces. Cela a pour effet de déshumaniser dans l'esprit de la personne qui va perpétrer le génocide. Cela contribue à déshumaniser cet être humain pour en faire un animal qui peut ensuite être tué ».36

Bien que le droit international n’interdit pas les discours de haine en tant que tels, l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, plus encore au génocide est répréhensible. Des discours de haine ethnique tenus par des politiciens (pouvoir et opposition), des militaires, des chefs de guerre, des leaders d’opinion, des chefs coutumiers et des individus lambda visant à inciter à l’extermination des Banyamulenge considérés comme des ennemis et demandant aux leurs d’être vigilants sont compris comme un appel à les exterminer. Comme dans l’affaire dite des médias au TPIR, les auteurs « ont systématiquement fait usage des médias écrits et radiophoniques, non seulement pour diffuser leurs propres discours mais encore ceux de biens d’autres, et véhiculer ainsi des idées et mobiliser la population en masse ».37

Il est donc plus qu’opportun que seules des poursuites et des condamnations judiciaires des personnes identifiables incitant au génocide des Banyamulenge peuvent dissuader les multiples auteurs potentiels. Il suffit d’établir que l’appel du public auquel ils s’adressent est compris comme un appel à tuer les Banyamulenge, qu’ils avaient conscience que leurs propos seraient ainsi compris et qu’il y avait une relation de cause à effet entre leurs propos et les attaques et massacres généralisés contre les Banyamulenge, même si cette relation de cause à effet n’est pas une condition indispensable pour que soit constituée le crime d’incitation au génocide. En effet, lorsque ce potentiel se réalise, il y a crime de génocide ainsi qu’incitation au génocide.38

Au Rwanda, le TPIR a conclu au-delà de tout doute raisonnable que l’on ait désigné des Tutsis comme ennemis de l’État associés à l’opposition politique, du seul fait de leur appartenance à l’ethnie tutsie, fait ressortir que leur appartenance à ce groupe ethnique comme tel était la seule raison pour laquelle ils étaient visés.39 Les exemples ci-dessus cités d’incitation au génocide sont similaires à ceux retenus par le TPIR et sont révélateurs de l'intention qui est derrière les différentes attaques contre les personnes civiles Banyamulenge.

2.1.2.2. Les discours et messages retenus par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda Il existe une similarité entre les discours et messages incitant à exterminer les Banyamulenge et les discours et les médias écrits ou audio-visuels retenus par le TPIR comme des actes constitutifs du crime d’incitation au génocide des Tutsi. En effet, l’incitation directe et publique doit être définie aux fins de l’interprétation de l’article 2 (3)c) du Statut du TPIR comme le fait de directement provoquer l’auteur ou les auteurs à commettre un génocide soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public soit partout autre moyen de communication audiovisuelle.40

Un exemple tristement célèbre d'incitation au génocide survenu au Rwanda est le procès des Médias dans lequel le TPIR a condamné 2 des fondateurs de la RTLM, Ferdinand Nahimana et Jean Bosco Barayagwiza, en décembre 2003, pour incitation au génocide, respectivement, pour la perpétuité et à 35 ans de prison.

Ont été notamment retenus par le TPIR comme discours et messages incitant au génocide des Tutsi :

  • L’émission du 4 juin 1994, animée par Kantano Habimana, appelant les auditeurs à exterminer les Inkotanyi, qui étaient reconnaissables à leur taille et à leur apparence, Habimana lançait à ses auditeurs : « Regardez seulement son petit nez et ensuite cassez-le ». Le fait d’identifier l’ennemi par son nez et d’inviter à le casser symbolise clairement l’intention de détruire le groupe ethnique tutsi.41

  • Un article publié par Kangura en janvier 1994, Hassan Ngeze écrivait : Que les Inyenzi aient le courage de comprendre ce qui va se passer et qu’ils sachent que s’ils commettent une petite erreur ils vont être exterminés ; que s’ils commettent l’erreur d’attaquer encore une fois, il n’en restera plus dans tout le Rwanda, même plus un seul complice. Tous les Hutus sont unis ...42

  • La diabolisation les Tutsis présentés comme foncièrement malfaisants, en assimilant le groupe ethnique à « l’ennemi » et en qualifiant les femmes de ce groupe d’agents séducteurs de l’ennemi, les médias ont appelé à l’extermination du groupe ethnique tutsi face à la menace politique qu’ils associaient à l’ethnie tutsie.43

  • L’article « Le Rwanda, problèmes actuels, solutions », paru en février 1993 et remis en circulation en mars 1994, [qui] évoquait maintes fois ce qu’il qualifiait de « ligue tutsie », référence voilée à la population tutsie dans son ensemble, assimilant ce groupe à l’ennemi de la démocratie au Rwanda.44

  • Les déclarations de Jean-Bosco Barayagwiza lors de meetings publics « Exterminons-les », le pronom « les » étant compris par son auditoire comme visant la population tutsie.45

Ces quelques exemples montrent que les discours prononcés et les messages partagés par des personnes bien connues et identifiées appelant à l’extermination des Banyamulenge peuvent constituer des actes criminels incitant au génocide.

2.1.3.La preuve de l’élément moral de l’incitation au génocide des Banyamulenge L'intention des auteurs des discours et messages incitant au génocide des Banyamulenge peut être analysée à la lumière de la jurisprudence bien établie. En effet, la preuve devra être apportée que la personne accusée était bien animée du dol spécial du génocide à savoir qu’elle a agi dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national ethnique, racial ou religieux, comme tel.

Selon la jurisprudence, l’élément moral du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide réside dans l’intention de directement amener ou provoquer autrui à commettre un génocide. Il suppose la volonté du coupable de créer par ces agissements chez la ou les personnes à qui il s’adresse, l’état d’esprit propre à susciter ce crime. C’est-à-dire que celui qui incite à commettre le génocide est lui-même forcément animé de l’intention spécifique au génocide : celle de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique racial ou religieux comme tel.46

S’agissant d’un article publié dans le Journal Kangura, la Chambre Préliminaire du TPIR a considéré que l’intention, comme en témoigne le langage au vitriol, était de véhiculer un discours de haine ethnique et de susciter l’hostilité générale contre la population tutsie. Dans les articles comme « Un cancrelat ne peut engendrer un papillon », les Tutsis étaient décrits comme foncièrement mauvais.47 Parlant des termes « complices des Inyenzi » y avait un sens plus ambigu. La menace consistant à dire que si les Inyenzi attaquaient à nouveau il ne serait plus nécessaire de se battre contre l’ennemi qui est resté dans la brousse mais qu’au contraire, les gens allaient commencer par éliminer l’ennemi qui se trouve à l’intérieur du pays, signifiait l’intention non seulement d’éliminer ceux qui restaient dans la brousse, on pense aux forces armées du FPR, mais aussi les ennemis à l’intérieur du pays, qui n’étaient pas précisément définis.48 Ces ennemis étaient compris comme étant les civils Tutsi.

Rappelant la différence entre les infractions formelles (inchoate en common law system) pour lesquelles seul compte l’acte criminel en tant que tel, et non le résultat de cet acte, qui peut ou non avoir été atteint, et les infractions matérielles, le TPIR a considéré « que le génocide relève évidemment de cette catégorie de crimes dont la gravité est telle que l’incitation directe et publique à le commettre doit être pénalisé en tant que telle, même dans les cas où l’incitation n’aurait pas atteint le résultat escompté par son auteur ».49 Se référant à cette jurisprudence, le TPIR a conclu que l’incitation directe et publique à commettre le génocide est une infraction formelle punissable même si aucun acte de génocide n’en a résulté.50 En effet, une personne accusée pourra être déclarée coupable pour avoir commis l’incitation directe et publique à commettre le génocide, si elle a incité directement et publiquement à commettre le génocide (l’élément matériel ou actus reus).51

Pour déterminer l'intention des auteurs des discours et messages incitant au génocide des Banyamulenge, on examinerait les déclarations et actes individuels, ainsi que le message qu'ils ont véhiculé à travers les médias. L’élément moral est ainsi déduit du fait de persuader sciemment d’autres personnes de perpétrer le génocide des Banyamulenge.

2.2. Le meurtre constitutif du génocide L’article II, a) de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide énumère le meurtre de membres du groupe parmi les actes constitutifs du crime de génocide lorsqu’il est commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. Une jurisprudence abondante des tribunaux pénaux internationaux confirme le meurtre comme un des actes matériels constitutifs du génocide.52 Il suffit que le dol spécial, en tant qu’élément moral de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, soit établi.

2.2.1. L’élément matériel du meurtre constitutif du génocide Il n’y a aucun doute que les Banyamulenge constituent un groupe ethnique protégé par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et le meurtre53 des membres de ce groupe est un acte de génocide. Comme indiqué plus haut, 1.500 personnes ont été tuées et 2.145 enlevées.54 Ces tueries constituent un élément matériel du crime de génocide qui consiste ainsi en « la destruction d’un groupe déterminé par le biais de massacres organisés et de mesures à grande échelle portant gravement atteinte aux droits fondamentaux des membres de ce groupe ».55

Dès lors qu’il est établi que des meurtres ont été commis contre des individus en raison de leur appartenance ethnique, dans l’intention de détruire en tout ou en partie les membres de ce groupe, l’élément matériel de génocide est constitué.

2.2.2. La détermination et la preuve de l’élément moral du meurtre constitutif du génocide Le meurtre est par sa nature même un acte criminel conscient, intentionnel ou délibéré, que son auteur ne peut normalement pas commettre sans avoir connaissance de ses conséquences probables. L'intention criminelle spécifique requise pour qu'il y ait crime de génocide comporte plusieurs aspects importants et nécessite une preuve.

2.2.2.1. Les aspects del’intention génocidaire L'intention criminelle spécifique requise pour qu'il y ait crime de génocide comporte plusieurs aspects.

2.2.2.1.1. La destruction des membres d’un groupe protégé Il s’agit ici de l’intention de détruire un groupe, et non pas simplement un ou plusieurs individus qui, par coïncidence, se trouvent être membres d'un certain groupe.56 En effet, « la principale caractéristique du génocide est son objet : l'acte doit tendre à la destruction d'un groupe. Les groupes étant constitués d'individus, les actes de destruction doivent, en dernière analyse, être commis contre des individus. Cependant, ces derniers n'ont pas d'importance en eux-mêmes mais seulement en tant que membres du groupe auquel ils appartiennent ».57 Le meurtre en tant qu'acte prohibé par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide doit être commis en raison de l'appartenance de la victime à un certain groupe protégé. L'action menée contre les membres du groupe à titre individuel est le moyen devant permettre d'atteindre l'objectif criminel ultime, qui concerne le groupe.58

Une personne commet le crime de génocide si le meurtre est commis sur un ou plusieurs individus membres du groupe protégé et en raison de leur appartenance à ce groupe. La jurisprudence du TPIR précise que « la victime de l’acte est donc un membre du groupe choisi en tant que tel, ce qui signifie finalement que la victime du crime de génocide est le groupe lui-même et non pas seulement l’individu ».59 Elle énonce également que « la perpétration de l'acte reproché dépasse alors sa simple réalisation matérielle, par exemple, le meurtre d'un individu particulier, pour s’insérer dans la réalisation d'un dessein ultérieur, qui est la destruction totale ou partielle du groupe dont l'individu n’est qu’une composante ».60 Le TPIY a également conclu qu’en « tuant un individu membre du groupe ciblé, l'auteur ne manifeste pas seulement sa haine du groupe auquel sa victime appartient, mais commet aussi sciemment cet acte dans le cadre d'une intention plus large de détruire le groupe national, ethnique, racial ou religieux dont la victime est membre ».61 Citant la Commission du Droit International, le TPIY a conclu que « l'intention doit être de détruire le groupe “en tant que tel”, c'est- à-dire en tant qu'entité séparée et distincte, et pas seulement certains individus en raison de leur appartenance à un groupe particulier ».62

C'est donc l'appartenance des victimes tuées au groupe ethnique Banyamulenge, et non leur identité personnelle, qui est le critère décisif du choix des assaillants lors des attaques armées. Même si les assaillants n’ont pas pu détruire ou exterminer tous les Banyamulenge, néanmoins, leurs actes criminels font transparaitre cette intention génocidaire.

2.2.2.1.2. La destruction du groupe « comme tel » L’intention doit être de détruire le groupe « comme tel », c'est-à-dire comme entité séparée distincte, et non simplement quelques individus en raison de leur appartenance à ce groupe.63 À cet égard, l'Assemblée Générale des Nations Unies a fait une distinction entre le crime de génocide et le crime d'homicide, décrivant le génocide comme le refus du droit à l'existence à des groupes humains entiers et l'homicide comme le refus du droit à l'existence à un individu.64 En attaquant tous les villages des Banyamulenge dans les hauts-plateaux d’Uvira, Mwenga et Fizi dans la province du Sud-Kivu, il ne peut être conclu que les auteurs avaient et ont encore l’intention d’exterminer les Banyamulenge. Cette Résolution indique que la communauté internationale « ... a vu perpétrer des crimes de génocide qui ont entièrement ou partiellement détruit des groupements raciaux, religieux, politiques ou autres ».65 Il est donc obligatoire que la répression du crime de génocide des Banyamulenge soit une affaire d'intérêt international.

2.2.2.1.3. La destruction du groupe « en tout ou en partie » L'intention génocidaire doit être de détruire un groupe « en tout ou en partie ». Elle ne doit pas nécessairement être l'anéantissement complet du groupe, dans le monde entier. Néanmoins, le crime de génocide, par sa nature même, implique l'intention de détruire au moins une partie substantielle du groupe visé.66 La portée de l’expression « en partie » a également été interprétée par Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) qui a jugé que la destruction recherchée ne devait pas nécessairement concerner la totalité du groupe, et que l’intention de détruire devait viser une partie au moins substantielle de celui-ci. Il a précisé que l’intention génocidaire pouvait consister à vouloir l’extermination d’un nombre très élevé de membres d’un groupe protégé, mais aussi à rechercher la destruction d’un nombre plus limité de personnes, celles-ci étant sélectionnées en raison de l’impact qu’aurait leur disparition pour la survie du groupe comme tel, et qu’il s’agissait alors d’une volonté de destruction « sélective » du groupe.67

L'idée d'une destruction partielle pose le problème difficile de la taille minimale de la partie du groupe vouée à la destruction, pour qu'il y ait génocide. En général, le grand public considère que le génocide est une sorte de massacre à grande échelle. En somme, quand le chiffre des morts atteindrait plusieurs centaines de milliers, et plus encore plusieurs millions, il y aurait lieu de parler de génocide. Mais cette approche intuitive, qui prend comme critère le grand nombre de victimes, n’est pourtant pas spécifique d’une action génocidaire. Du reste, aucun expert ne saurait dire aujourd’hui à partir de quel chiffre de morts commence un génocide. Ce qui définit plus sûrement ce dernier, c’est un critère qualitatif combiné à ce critère quantitatif : la volonté d’éradication totale d’une collectivité.68

Nous sommes d’avis que, comme il ressort des commentaires de l’article relatif au crime de génocide, « il n'est pas nécessaire d'atteindre le résultat final de la destruction d'un groupe pour que le crime de génocide soit commis. Il suffit d'avoir commis l'un quelconque des actes qu'énumère l'article dans l'intention claire de parvenir à la destruction totale ou partielle d'un groupe protégé en tant que tel ».69 La substantialité du groupe visé est en fin de compte laissée à l'appréciation des juges saisis pour trancher.


2.2.2.2. La preuve del’intention génocidaire En dehors de l’hypothèse d’aveu de culpabilité déclarée par la personne accusée, l’intention spécifique - un facteur d’ordre psychologique - est difficile voire impossible, d’appréhender.

S’agissant du génocide des Tutsi, la jurisprudence du TPIR a considéré que l’intention peut se déduire, dans chaque cas d’espèce, d’un certain nombre de faits notamment de l’ensemble des actes et propos de l’accusé... du contexte général de perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, l’échelle des atrocités commises, leur caractère général, dans une région ou un pays, ou encore le fait de délibérément et systématiquement choisir les victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, tout en excluant les membres des autres groupes ou de la répétition d’actes de destruction discriminatoires.70 Dans le même ordre d’idées, la Chambre d’Appel du TPIR a estimé, qu’au vu d’éléments de preuve abondants sur les meurtres de civils tutsis perpétrés au Rwanda, la seule conclusion raisonnable qui puisse être dégagée est que les assaillants qui étaient les auteurs matériels des meurtres poursuivis étaient animés de l’intention de détruire l’ensemble du groupe tutsi, ou une partie substantielle de ses membres.71

Il n’y a pas de moindre doute qu’en tuant les Banyamulenge de tous âges et de différents villages, les auteurs avaient bien l’intention de les exterminer, en tout ou en partie, en raison de leur appartenance au groupe ethnique Banyamulenge. Toutes les victimes Banyamulenge de meurtres commis par les assaillants ont été tuées non pas à titre individuel mais parce qu’elles appartiennent à ce groupe ethnique.

A défaut de prouver le dol spécial manifeste de la part des auteurs des attaques armées contre les Banyamulenge, il peut être tiré de la seule conclusion que, des auteurs des attaques directes, intentionnelles et discriminatoires, commettant des meurtres et des enlèvements, obligeant le déplacement de centaines de personnes, principalement des femmes et enfants, incendiant des habitations, des centres de santé et des écoles et procédant au pillage systématique, essentiellement du gros bétail, étaient animés de l’intention de détruire les Banyamulenge totalement ou partiellement à raison de leur appartenance ethnique.

3. LA CONCLUSION

Il est intéressant de souligner que les attaques armées contre les Banyamulenge tendent à être perçues et réduites intentionnellement ou non à un simple conflit tribal. Bien qu’ayant la forme tribale, en réalité, elles sont constitutives des actes de génocide.

D’une part, les discours prononcés et les messages propagés par différentes personnes constituent des actes d’incitation directe et publique au génocide des Banyamulenge. L’incitation au génocide des Banyamulenge est donc un crime formel constitué dès lors que les auteurs étaient animés par l’intention génocidaire indépendamment des résultats produits par leurs actes.

D’autre part, les meurtres commis par les assaillants, à titre individuel ou en tant que supérieur hiérarchique, lors de différentes attaques armées contre les Banyamulenge constituent des crimes au sens de la convention pour la prévention et la répression du génocide vu que les victimes ont été exécutées, non pas à titre individuel, mais dans l’intention de les détruire, en tout ou en partie.

Des poursuites engagées par la justice contre les auteurs de ces actes sont la clef de voûte de la lutte contre l’impunité. En effet, les difficultés pour les victimes d’accéder à la justice est un facteur contribuant aux nouvelles attaques. L’Etat congolais doit garantir que les actes de génocide commis contre les Banyamulenge soient dûment poursuivis et sanctionnés par les autorités compétentes. Cette absence ou manque des poursuites judiciaires de la part des autorités politiques et judiciaires donne à leurs auteurs un blanc-seing de continuer cette sale besogne.



Footnotes

1 Voir l'article 4 A, 1), 2), 3), et 6) de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, du 12 août 1949 et aux articles 43 et 50 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977. 2 Article 13 du Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), du 8 juin 1977. 3 Jean-Marie HENCKAERTS et Louise DOSWALD-BECK, Droit International Humanitaire Coutumier, Volume I : RÈGLES, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 3. 4 Joan Tilouine, Dans l’est de la RDC, miliciens Maï-Maï et banyamulenge se livrent une guerre sans fin, Le Monde Afrique, 21 octobre 2020.

5 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, § 144. 6 Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de L’homme HCDH-MONUSCO (2020), Note analytique sur la situation des droits de l’homme dans les hauts plateaux des territoires de Mwenga, Fizi et Uvira, province du Sud-Kivu, entre février 2019 et juin 2020, p.4. 7 Ibid. 8 Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de L’homme HCDH-MONUSCO (2020), Note analytique sur la situation des droits de l’homme dans les hauts plateaux des territoires de Mwenga, Fizi et Uvira, province du Sud-Kivu, entre février 2019 et juin 2020, p.4. 9 Statut de la Cour Pénale Internationale, 1998, art. 8, par. 2, al. e) i).

10 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, p.38, § 146. 11 Innocent Nteziryayo, Rapport sur les attaques contre les Banyamulenge dans les Hauts et Moyens Plateaux du Sud- Kivu en République Démocratique du Congo, Publié le 20 février 2023. 12 Cahier des charges de la communauté Banyamulenge, Dialogue Intercommunautaire pour la paix, la sécurité et le développement dans les hauts et moyens plateaux de Fizi, Mwenga/Itombwe et Uvira tenu à Kinshasa du 29 au 31 Mars 2021. 13 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, p.37, § 144. 14 Delphin Rukumbuzi Ntanyoma, Alex Mvuka Ntung and Jean Pierre Mujyambere, The Current Security Situation of the Banyamulenge in the Democratic Republic of Congo, October 2019, p. 2. 15 Encyclopedia of Genocide and Crimes Against Humanity, Dinah L. Shelton, 2, Thomson Gille, 2005, p.494. 16 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Affaire N° ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998, § 551. 17 TPIR, Chambre d’Appel, Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE c. le Procureur, Affaire no ICTR-99-52-A, Arrêt, 28 novembre 2007, § 677.

18 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Affaire N° ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998, § 555. 19 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 556. 20 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 557. 21 Sur les discours de haine dont sont victimes les Banyamulenge voir notamment Ntanyoma Rukumbuzi Delphin, and Thomas Shacklock, Hate Speech and Genocide in Minembwe, D.R. Congo, Genocide Watch, Mar 1, 2021. Genocide Watch, Genocide Emergency: The Banyamulenge of the DRC, 03/09/2021, Genocide Watch, Genocide Emergency: The Democratic Republic of the Congo, August 2022. Felix Mukwiza Ndahinda & Aggée Shyaka Mugabe (2022) Streaming Hate: Exploring the Harm of Anti-Banyamulenge and Anti-Tutsi Hate Speech on Congolese Social Media, Journal of Genocide Research, DOI: 10.1080/14623528.2022.2078578

22 Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’homme en République Démocratique du Congo (HCDH-MONUSCO), Rapport sur les discours et messages incitatifs à la haine en République démocratique du Congo, Mars 2021, p.16, § 53. 23 Ibid. 24 Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (HCDH-MONUSCO), Rapport sur les discours et messages incitatifs à la haine en République Démocratique du Congo, supra, § 54. 25 Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (HCDH-MONUSCO), Rapport sur les discours et messages incitatifs à la haine en République Démocratique du Congo, supra, § 58. 26 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, p.39, § 153. 27 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, p.39, § 154.

28 Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021, voir annexe 114. 29 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, supra, § 155. 30 Ntanyoma Rukumbuzi Delphin, and Thomas Shacklock, Hate Speech and Genocide in Minembwe, D.R. Congo, Genocide Watch, 01/03/2021, p.4. 31 Connus également sous le nom de Fulbé (également sous le nom de Peuhl, Fula ou Fulani), les Mbororo sont des éleveurs et leur richesse principale est le bétail. 32 Ntanyoma Rukumbuzi Delphin, and Thomas Shacklock, supra, p.5. 33 Ibid.

34 Ntanyoma Rukumbuzi Delphin, and Thomas Shacklock, supra, p.8. 35 https://www.politico.cd/encontinu/2023/08/04/rdc-le-csac-demande-a-justin-bitakwira-de-ne-plus-utiliser-les- medias-comme-outil-de-relais-de-toute-forme-de-discrimination.html/136841/ 36 Radio Okapi, RDC: l'ONU appelle les Congolais à bannir les discours de haine pour prévenir le génocide, Article publié le 14/11/2022 et modifié le 14/11/2022. 37 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, Affaire n° ICTR-99-52-T, Jugement, 3 décembre 2003, § 979.

38 Id., § 1015. 39 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, supra, § 969. 40 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 559. 41 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, supra, § 1032. 42 Id., § 961.

43 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, supra, § 963. 44 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, supra, § 966. 45 Id., § 967. 46 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 560. 47 Ibid., § 187.

48 TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE, supra, § 217. 49 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 562. 50 TPIR, Chambre d’Appel, Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE c. le Procureur, supra, § 678. 51 Id., § 677. 52 Voir TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze, Anatole Nsengiyumva, Affaire n°. ICTR-98-41-T, Jugement, 18 décembre 2008, § 2170 (les meurtres de Tutsis perpétrés à des barrages routiers érigés à Kigali entre le 7 et le 9 avril 1994, de même que durant les attaques qui ont eu lieu à Kabeza, à la mosquée de Kibagabaga, au Centre Saint-Joséphite, sur la colline de Karama, à l’église catholique de Kibagabaga, sur la colline de Nyanza, à l’IAMSEA, dans la ville de Gisenyi le 7 avril, à l’Université de Mudende, à la paroisse de Nyundo et à Bisesero étaient constitutifs de génocide. Sur la foi de cette conclusion, elle se dit convaincue que ces meurtres intentionnels ont été perpétrés sur une base ethnique). Voir aussi TPIR, Chambre de première instance, le Procureur c. Ildephonse Hategekimana, Affaire n° ICTR-00-558-T, Jugement, 6 décembre 2010, § 402 ; TPIR, Chambre d’Appel, Clément Kayishema (appelant-intimé) et Obed Ruzindana (appelant-intimé) c. le Procureur (intimé-appelant), Affaire n° ICTR-95-1-A, jugement, le 1er juin 2001, § 189 ; TPIR, Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Emmanuel Ndindabahizi, Affaire no ICTR-2001-71-T, jugement et sentence, 15 juillet 2004, § 462 ; TPIR, La Chambre d’Appel, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze (Appelants) c. Le Procureur (Intimé), Affaire n° ICTR-99-52-A, arrêt du 28 novembre 2007, § 515 et TPIR, Chambre I, Le Procureur c. Jean Kambanda, Affaire n° ICTR- 97-23-S, Jugement portant condamnation, 4 septembre 1998, § 40 (le TPIR a reconnu Jean Kambanda, le Premier Ministre pendant la période du génocide, « responsable de meurtres et d'atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres de la population tutsie dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique ou racial comme tel, et a de ce fait commis le crime de génocide, crime prévu à l'article 2 (3) (a) du Statut du Tribunal, et qui lui est imputé en vertu de l'article 6(1) et 6(3) »).

53 Selon le TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Emmanuel Ndindabahizi, Affaire no ICTR-2001-71-T, jugement et sentence, 15 juillet 2004, § 487, le meurtre/assassinat est défini comme étant le fait de donner volontairement la mort à quelqu’un ou de porter volontairement une atteinte grave à son intégrité physique, tout en sachant que cette atteinte est de nature à entraîner la mort de la victime ou en étant indifférent que la mort de la victime en résulte ou non. 54 Innocent Nteziryayo, Rapport sur les attaques contre les Banyamulenge dans les Hauts et Moyens Plateaux du Sud- Kivu en République Démocratique du Congo, Publié le 20 février 2023. 55 Anne-Marie LA ROSA et Santiago Villilpando, le crime de génocide revisité, nouveau regard sur la définition de la convention de 1948 à l’heure de son cinquantième anniversaire d’appréhension théorique des éléments constitutifs du crime, pp 53-110, in Collection de droit international, 42, Bruylant, 1999, p. 73. 56 Nations Unies, 2005 : Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité et commentaires y relatifs, 1996, p.47.

57 Nehemiah Robinson, The Génocide Convention: A Commentary, New York, Institute of Jewish Affairs, World Jewish Congress, 1960, p. 58. 58 Nations Unies, 2005 : Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité et commentaires y relatifs, supra, p.47. 59 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 521. 60 Id., § 522. 61 TPIY, TRIAL CHAMBER, THE PROSECUTOR v. GORAN JELISI, JUDGEMENT, 14 December 1999, § 79. 62 Ibid. 63 Nations Unies, 2005 : Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité et commentaires y relatifs, supra, p.47.

64 Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 96 (I), 11 décembre 1946.

65 Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 96 (I), 11 décembre 1946. 66 Nations Unies, 2005 : Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité et commentaires y relatifs, supra, p.47. 67 TPIY, Trial Chamber, the Prosecutor v. Goran Jelisi, Judgement, supra, § 82. 68 Jacques Sémelin, Du massacre au processus génocidaire, Revue internationale des sciences sociales, 2002/4 (n° 174), pages 483 à 492. 69 Nations Unies, 2005 : Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité et commentaires y relatifs, supra, p.49.

70 TPIR, Chambre I, le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, supra, § 523 et § 524. 71 TPIR, la Chambre de Première Instance I, le Procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze et Anatole Nsengiyumva, supra, § 2134.



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